La gastronomie tunisienne aux yeux de M. Wahid Ibrahim

Samedi 3 mars 2012, a eu lieu la présentation du premier Conservatoire de la Gastronomie Tunisienne à l'initiative de la direction de l'Institut des Hautes Etudes Touristiques de Sidi Dhrif ( Sidi Bou Said) et cinq des meilleurs chefs de la région de Tunis. M. Wahid Ibrahim, ex-directeur général de l'ONTT était présent et l'évènement lui a inspiré ce commentaire.

La gastronomie tunisienne aux yeux de M. Wahid Ibrahim

Manger est un acte éminemment culturel et la gastronomie tunisienne, grâce à l'effet d'accumulation et de sédimentation, porte les empreintes de toutes les civilisations qu'elle a connues.

Notre gastronomie est essentiellement arabo-berbère et saharienne dans le sud et l'intérieur du pays et méditerranéenne sur tout le littoral. Frugale et peu variée d'un côté, élaborée et diversifiée de l'autre.

De nos jours, elle a tendance à s'uniformiser et à perdre ses particularismes régionaux et ses spécificités locales.

La vie moderne trépidante et la femme au travail qui dispose de moins de temps chez elle favorisent le fast food et le recours aux recettes faciles et aux aliments en conserves.

Avant, en déambulant dans les quartiers des médinas et des villages, on pouvait deviner les plats préparés dans chaque maison tellement les fumets et les arômes embaumaient les impasses et les ruelles. L'odeur de mloukhia ou de couscous au poisson titillait les narines des passant et aiguisait leur faim. De nos jours, il est triste de constater que ces mêmes maisons anciennes produisent plus de rebus plastiques et minéraux que des déchets organiques biodégradables.

Mais ne pouvant arrêter les choses, toute nostalgie ayant ses limites, on doit nécessairement payer la rançon de la modernité.

L'essentiel, c'est qu'en évoluant, on doit veiller à ce que notre gastronomie ne perde pas son âme. Et c'est ce qui est demandé à nos chefs cuisiniers et chercheurs culinaires qui doivent jouer les gardiens du patrimoine gastronomique tout en l'adaptant aux goûts du jour, aux produits du jour et aux technologies du jour.

Il doivent, dans le cas de la restauration collective de restaurants et d'hôtels réussir à passer d'une cuisine familiale typée ,goûteuse ,patiente et riche en calories et en sucres rapides à une cuisine de groupe ,presqu'industrielle ,accélérée ,moins épicée et light.

Un chef cuisinier éclairé doit être un grand acrobate et réussir le pari d'être un bon gestionnaire, un bon technicien et un excellent artiste alchimiste:

Un bon gestionnaire pour réduire au maximum le food-cost et participer à la rentabilité de l'entreprise de son employeur.

Un bon technicien pour réussir la transformation des produits et la conservation du cru et du cuit,

Un excellent alchimiste et artiste pour produire une cuisine goûteuse et authentique malgré les contraintes d'une vision rentabiliste qui lui laisse peu de marges de manœuvre.

Et c'est dans ce contexte qu'il y a lieu de saluer l'initiative de l'Institut de Sidi Dhrif qui a permis de réunir cinq des plus grands chefs de cuisine officiant à Tunis et à Gammarth pour constituer le noyau d'un Conservatoire des Arts Culinaires Tunisiens. Une initiative qui pose les vraies questions et tente d'apporter les meilleures réponses possibles.