Patrimoine 19-20, nouvelle ONG au service du patrimoine architectural tunisien récent

Une nouvelle association a rejoint le déjà très long cortège des organisations non gouvernementales agissant en Tunisie en vertu de la loi en vigueur. Il s’agit de «Patrimoine 19-20». L’action qu’entend mener cette association consiste à «protéger et promouvoir le patrimoine architectural et urbain tunisien récent»

Patrimoine 19-20, nouvelle ONG au service du patrimoine architectural tunisien récent

Quelques jours avant son entrée effective dans son existence légale (laquelle n’intervient que trois mois après déposition de la demande d’autorisation auprès des autorités compétentes sauf avis contraire), soit jeudi 15 septembre, le bureau directeur de cette association a organisé un point de presse pour présenter le nouveau-né à l’opinion publique, ses objectifs et les modes d’intervention qu’il entend mettre en œuvre.

L’action qu’entend mener cette association consiste à «protéger et promouvoir le patrimoine architectural et urbain tunisien récent». Plus explicitement, cette action concernera les édifices à caractère public aussi bien que privé qui ont «une importance historique, architecturale ou esthétique réalisés entre 1800 et 2000 en Tunisie.» 

On nous apprend à ce propos que «les villes tunisiennes ont la chance d’abriter de véritables catalogues stylistiques de la production architecturale depuis 1800. On y dénombre des palais urbains, des édifices publics néo-mauresques, des immeubles de rapport Art-Nouveau ainsi que des maisons de villégiature et des hôtels de facture plutôt éclectique. Tunis abrite également de nombreux bâtiments aux lignes épurées, illustrant un courant local du style Art-Déco. L’association Patrimoine 19-20 prône-t-elle, ainsi, la prise en compte de tout ce patrimoine architectural, que ce soit les édifices publics, les ensembles d’habitation ou les bâtiments industriels. Il s’agit d’un patrimoine qui reflète les changements dans les activités significatives de toute une société. Et, à ce titre ainsi que pour des raisons esthétiques, il ne doit pas sombrer dans l’oubli."

Cette action s’inscrit dans l’urgence car «il y a péril en la demeure à l’heure où les surélévations sauvages poussent dans la nuit et les spéculateurs guettent la faille administrative pour procéder à la démolition de ces immeubles et villas, ces architectures du quotidien qui constituent l’essentiel du tissu urbain."

En dépit des ravages qui ont été commis tout au long des décennies passées et qui ont fait perdre à la Tunisie des richesses inestimables, tel l’ensemble appelé Palmarium, à Tunis, et qui, outre le centre commercial et la superbe galerie d’arts plastiques, comprenait également le premier hôtel construit dans le quartier moderne de la capitale, un bijou architectural doté d’un grand jardin, la Tunisie recèle encore un fonds considérable d’édifices qui présentent une valeur certaine et dont la préservation et l’exploitation s’imposent au double titre de legs patrimonial et de facteurs  de production économique. Ils s’égrènent du nord au sud du pays ; de l’est à l’ouest, sous des formes diverses allant des résidences citadines ou rurales aux gares de chemin de fer. «À côté de références incontournables, tels les bâtiments institutionnels conçus par des architectes de renom ou les édifices beaucoup plus discrets réalisés pendant la période de la Reconstruction de 1942-1943, figureront des bâtiments industriels, des ensembles d’habitation ainsi que des structures atypiques connus pour l’instant à l’échelle d’un quartier ou d’une région. Dans ces inventaires, on trouvera certainement de nombreux immeubles et maisons individuelles dont les traits stylistiques (néo-vernaculaires, régionalistes, modernistes) contribuent largement à façonner le paysage des villes tunisiennes. Compte tenu d’une spécificité urbaine locale (concentration de la population sur le littoral est du pays), ce sont les grandes villes côtières qui rassemblent la partie la plus importante du patrimoine architectural récent. Cependant, Patrimoine 19-20 œuvrera pour faire connaître le patrimoine de toute la Tunisie, y compris celui des bassins miniers et des régions agricoles. Ouvrages d’art (ponts et viaducs), villages ouvriers, écoles municipales, fermes et granges doivent figurer dans les inventaires"

 

Une approche multidimensionnelle

Une deuxième dimension de cet héritage est en pleine perdition et qui mérite une action de sauvetage urgente : l’organisation urbaine des quartiers aménagés durant cette période. «À la qualité architecturale répond la qualité urbaine. La ville créée au cours des XIXe et XXe siècles est souvent une ville dense et plurifonctionnelle, l’inverse de la ville « sans fin » du début du XXIe siècle caractérisée par des enclaves hyperspécialisées, le gaspillage énergétique, un habitat diffus et une tendance à la ségrégation socio-économique. Patrimoine 19-20 ne cherche pas à idéaliser l’urbanisation produite en Tunisie depuis le milieu du XIXe siècle. Mais, force est de constater que les centres-villes historiques, denses, plurifonctionnels, abritant souvent des zones de friche, sont aptes à recevoir les premiers éco-quartiers urbains de Tunisie. L’approche patrimoniale ne peut que contribuer à un ordre du jour environnemental. On revalorise le bâti existant, on évite de consommer un bien non renouvelable, le sol, et par des procédés HQE (Haute Qualité Environnementale), on remet en valeur des édifices et des espaces d’une grande qualité.»

L'action programmée par la nouvelle association n'est pas seulement à caractère "muséographique" ; elle s’inscrit également dans une perspective mnémotechnique collective destinée à entretenir des valeurs communes. «Le patrimoine bâti récent est également dépositaire d’une partie de la mémoire citoyenne. Lorsque l’on protège les  ‘‘lieux de la mémoire’’, on sauvegarde moins des édifices que des traces et des cicatrices de l’histoire récente. La notion de  ‘‘lieu de mémoire’’  est vague, mais peut englober aussi bien des champs de bataille (la ligne de Mareth au sud de Gabès) que des paysages mythiques rendus célèbres par les artistes-peintres et les cinéastes (le village de Sidi Bou Saïd, le Djebel Boukornine, le quartier de Halfaouine). Reste que le site (une rue urbaine, une place) transmet un message historique tout comme un édifice représentatif de l’œuvre d’un architecte ou d’un courant stylistique. Sans doute, la plus belle avenue du pays, héritage des aménageurs du XIXe siècle et lieu de la grande manifestation du 14 Janvier 2011, signifiera longtemps le désir de liberté de tout un peuple et, à ce titre, est digne d’une attention toute particulière.»

La dimension économique, enfin, est indissociable de l'ensemble du projet et soutient, elle aussi, l'approche préconisée par les promoteurs de Patrimoine 19-20. Pour eux, la revalorisation du patrimoine sera «en phase avec le grand enjeu de notre temps, le développement juste et durable». Car, «la mise en valeur de ces édifices aura, sans aucun doute, son impact sur  l’essor"  de l'économie aussi bien urbaine que rurale. "Les activités culturelles — des théâtres, des ateliers d’artistes, des instituts culturels —  installées dans des bâtiments restaurés par les soins de l’Etat ou des fondations privées renforcent l’attractivité de tout un quartier, attirant de nouveaux investisseurs et créant de nouveaux emplois. À l’heure où les villes se standardisent à cause d’une production architecturale de plus en plus normée et des contraintes d’un zonage fonctionnel, la mise en valeur du patrimoine récent ne peut être qu’un atout pour un pays comme la Tunisie, contribuant à la construction d’un véritable ‘‘label national’’.

Le levier patrimonial vaut également pour les bâtiments industriels et agricoles. On peut imaginer, à l’instar de la restauration / réutilisation de bâtiments industriels dans d’autres villes méditerranéennes, la reconversion des abattoirs de Tunis, par exemple, à des fins éducatives ou culturelles. Dans d’autres cas, l’intérêt intrinsèque d’un site, doublé de la lisibilité d’un ancien processus industriel  ou artisanal, permettra la reconversion d’un édifice à des fins touristiques ou culturelles, pourvoyeuses d’emplois».

Le programme est assurément vaste, très vaste (trop, penseraient certains). Mais l’association entend s’y atteler sans perte de temps, comptant autant sur ses capacités propres que sur l’apport de partenaires provenant de tous les horizons concernés par cette problématique, individus aussi bien qu’institutions, nationaux ou internationaux dont les contributions pourront revêtir des formes très variées. Dans l’immédiat, elle entend se doter d’un siège et installer des antennes régionales, créer une base de données des experts du patrimoine récent et procéder à des levées de fonds auprès de bailleurs locaux et internationaux. Ensuite, elle s’impliquera dans l’établissement d’inventaires régionaux du patrimoine récent et procédera à des campagnes annuelles de classement d’édifice (thématique, d’urgence) auprès des autorités compétentes, basées sur les inventaires. Parallèlement, elle entretiendra une action pédagogique auprès du grand public et de mobilisation des catégories sociales et professionnelles susceptibles de concourir à son action sous une forme ou sous une autre.

 

Composition du bureau directeur de l’association Patrimoine 19-20

 Zoubeïr Mouhli (architecte) : président.

 Tawfik Kastalli (professionnel du tourisme) : vice-président.

 Moncef Guellaty (éditeur) : secrétaire général.         

 Inchirah Hababou (architecte) : secrétaire général adjoint.

 Amel Meddeb (architecte) : trésorier.             

 Faika Béjaoui (architecte-urbaniste) : responsable de l’unité «Recherche et connaissances»

 Jamila Binous (historienne-urbaniste) : responsable de l’unité «Information et Diffusion».

 Selma Hamza (architecte) : responsable de l’unité «Mobilisation Humaine et Financière».

 Issam Ben Ayed (architecte) : responsable de l’unité «Développement et Actions».

 

Auteur : TA

 

Crédit Photo: voyage-et-tourisme.fr