Fadhel Jaibi : ' Le théâtre aux temps des crises est une chance pour le théâtre ! '

Fadhel Jaibi est une figure emblématique du paysage culturel tunisien. Depuis les années 70, il avait oeuvré pour l'essor du 4ème art et son insertion dans la mosaïque théâtrale du monde, et ce, à travers la création, la réflexion, le questionnement du discours théâtral et esthétique. Faiza Messaoudi l'a rencontré avant la représentation de sa pièce Martyr qui a assuré l'ouverture de la 22ème édition des JTC. 

Fadhel Jaibi : ' Le théâtre aux temps des crises est une chance pour le théâtre ! '

 
 
Pourquoi vous n'avez pas accepté d'être dans la compétition malgré l'avis de la commission de votre pièce Martyr ?
Tout d'abord, je ne crois pas à l'idée de compétition dans le théâtre, il ne s'agit pas d'une course de chevaux. Ceci est une aberration, du non sens, du mépris de rceuvre d'art en la plaçant dans la moule d'une compétition. Le théâtre c'est des théâtres, des écritures, des approches, des visions... Pourquoi dans les grands festivals occidentaux il n'ya pas recours à la compétition ? Ensuite, Il faut respecter les carrières des anciens, on ne propose jamais à Peter Brook de compétitionner, comme on ne lui demande pas de postuler un dossier pour participer dans un festival Bref, j'ai dit non, je cède ma place aux jeunes, mais comme artiste, j'ai le droit d'y être présent. On m'a donc proposé l'ouverture, j'ai accepté en exigeant la salle du 4ème ad car c'est impossible de donner une représentation après la cérémonie d'ouverture sur la même scène avec un décor déjà installé ! 
 
Il paraît que vous êtes un homme de théâtre qui occupe une place considérable à l'échelle internationale.
 
Quand tu es présent dans un grand théâtre ou un grand festival, on t'ouvre les portes du monde et tu deviens une référence parce 
que tu fais avancer la réflexion sur la dramaturgie et l'esthétique, de surcroit, tu les provoques, tu les critiques, comme par exemple sur la question palestinienne, ou le néo conservatisme, le néo colonialisme, etc. J'ai parcouru trois fois le monde et j'étais programmé dans les grands festivals comme Avignon, tokyo, Argentine, Allemagne, Suède, etc. Mais, je n'ai jamais été passé par un jury ni avoir postulé une demande ou une vidéo que ce soit pour le Théâtre d'Odéon ou Chaillot, ou Berlin, ce sont eux qui viennent voir les représentations. J'étais invité non seulement, en programmation pour une tournée, mais aussi pour créer à Berlin, à Paris au Théâtre de l'Europe, à Chaillot, et la liste est longue. 
 
La 22ème édition est sous le signe du théâtre aux temps des crises. Qu'en pensez-vous ?
 
Depuis que nous sommes né(e)s, a-t-on vécu en dehors des crises, a-t-on connu un âge d'or ?! Donc, je dirais plus, le théâtre ne vit que de crises ! Ceci pourrait être, peut être, l'intitulé pour voir les particularités de cette crise par rapport aux précédentes. 
 
Pour appuyer ce que vous avez affirmé, Jean Vilar dit que « Tant que le théâtre est en crise, c'est qu'il se porte bien ! »
Parce qu'il ne se nourrit que de crises ! Dans le théâtre grec - les formes fondatrices de l'acte théâtral- l'homme avait toujours été en danger, face à son destin, à la mort, à la survie, à la peur, à la violence ; il a subi et a conquis, il a été soumis et il a soumis, tous les livres, toutes les légendes en témoignent. Alors, que veut dire le théâtre en temps de crises !? Comme si les autres éditions ont été passées dans des conditions idéales. S'il y a eu une clef d'accès à ce que nous avons fait de pire et de meilleur depuis les années soixante dix, c'est que nous avons vécu sous des contraintes multiples, des violences, des agressions de Bourguiba et de Ben Ali ; eux, ils interdisaient, privaient, terrorisaient, et nous, on créait Ghasselet enneweder, Noce, Arab, Familia, Jounoun et bien d'autres oeuvres majeures qui avaient fait plusieurs fois le tour du monde. 
 
En plus la crise est générale !
Le phénomène est extra théâtral, c'est une infinité de crises structurelles, politiques, idéologiques... tout est en décrépitude, en dégradation, une espèce de déconfiture générale ! Rien ne ronchonne ! C'est un pays qui vit dans une dépression inouïe, individuelle et collective. Voilà une matière extraordinaire pour le créateur: sa dépression et la dépression qu'il traite pour le déprimé qui est le spectateur ! Il faut affirmer que le théâtre aux temps des crises est une chance pour le théâtre ! 
Extrait de la Newsletter des JTC, Faiza Messaoudi