Vin de Tunisie: témoignage / expérience

Chaque année, une visite de la "route des vins" en Tunisie offre aux touristes une occasion unique d'en apprendre plus sur ce secteur viticole, peu connu dans le pays. C'est un voyage non seulement dans les régions productrices du pays, où ils peuvent déguster différents vins et en apprendre plus sur leur production, mais aussi une plongée dans l'histoire du pays.

Vin de Tunisie: témoignage / expérience

Souhail Mouldi, l'organisateur de ce voyage, déclare avoir reçu plusieurs e-mails avant le voyage, à la fois favorables et très critiques envers cette initiative. "L'un d'eux me disait: 'Comment pouvez-vous organiser une telle visite, alors que vous vivez dans un pays musulman ?' Je lui ai gentiment répondu qu'il y a juste deux mois, notre association avait organisé un voyage intitulé 'Voyage dans les Reperes Religieux' à Tunis. Et aujourd'hui, je ne vois aucune raison de ne pas organiser cette visite, qui permet à des gens qui n'ont jamais goûté de vin de toute leur vie, et qui n'y voient aucun problème, à venir en apprendre plus sur l'histoire du vin en Tunisie."

Première étape pour notre groupe de 20 personnes, le village de Megrine. Notre bus fait halte devant une magnifique villa. N'eût été un panneau indiquant l'Union Centrale des Coopératives Viticoles (UCCV), une institution gouvernementale, nous aurions pu nous croire devant la résidence privée de quelque notable de la région.

Nous y sommes accueillis par un homme aux yeux bleus, âgé d'environ 70 ans, Hadj Abderrahmene Daoudi. Apres l'avoir suivi quelques minutes dans un étroit couloir, nous nous retrouvons devant une large cave plongée dans le silence. L'éclairage est tamise, plongeant l'endroit dans une atmosphère presque irréelle. "J'ai l'impression d'assister à une messe", commente Fethi Baklouti, un pharmacien de notre groupe.

"L'armée allemande utilisait cet endroit pour stocker des armes après la défaite des Francais", raconte Daoudi. "A la fin de la guerre, nous avons récupéré l'endroit, pour en faire une cave de maturation du vin. Je ne pense pas que les meilleurs spécialistes internationaux puissent rêver meilleur endroit pour faire du bon vin. Savez-vous qui prépare le vin ? Trois choses, et pas des personnes: la lumière, l'air et la température."

Les rapports que les Tunisiens entretiennent avec le vin remontent à l'époque punique. Les habitants de Carthage furent les premiers à chercher à cultiver la vigne. Cette culture devint une pratique commune au VIIIème siecle avant J.C.

 

Taher Ayachi, guide et historien

"Depuis," selon Taher Ayachi, notre guide et spécialiste des sites historiques de Tunisie, "l'industrie du vin a connu des hauts et des bas, de la prospérité à l'effondrement total. Après la chute de Carthage, les Romains envisagèrent de continuer, mais leur totale manque de connaissances des techniques nécessaires à la culture du vin provoqua la chute du secteur." Lorsque les Musulmans arrivèrent en Tunisie au VIIeme siècle, la production viticole fut abandonnée.

 

"Cette situation perdura jusqu'è la chute du califat ottoman et le début de l'occupation française, qui amena avec elle des centaines de colons qui s'emparèrent des terres et redonnèrent au vin son prestige en Tunisie", poursuit Ayachi. "Mais après l'indépendance de la Tunisie en 1956,et le remembrement agricole de 1964, les paysants tunisiens purent à nouveau occuper leurs terres. Ils s'engagèrent dans une campagne d'arrachage de leurs pieds de vigne, pour tout un ensemble de raisons, religieuses et autres."

Il fallu attendre les années 1980 pour que l'industrie viticole que nous connaissons aujourd'hui en Tunisie ne refleurisse. Des coopératives spécialisées furent créées et des spécialistes formés dans ce but, tandis que la région était replantée en vignes, qui finir par s'étendre sur plusieurs milliers d'hectares.

Après une leçon sur la manière de goûter, sentir et identifier les robes en vue de déterminer l'âge d'une bouteille de vin, nous partons pour Grombalia, le "Royaume du Raisin", comme l'appellent ses habitants. La grande place de la ville est décorée d'une gigantesque grappe.

Les caves de Grombalia témoignent du passage de toutes les grandes civilisations qui se sont croisées en Tunisie. L'une d'elle contient le plus vieux pressoir romain du pays. Une autre se trouve sur les terres du palais de Benito Mussolini, l'ancien dictateur italien, que l'on peut encore visiter aujourd'hui. Selon Hadj Abderrahmene, Mussolini voulait faire de ce palais une résidence secondaire, "et l'on y trouve donc, juste a côté, une cave pour entreposer le vin. Mais en fin de compte, il ne vint jamais dans ce palais et ne goûta jamais notre vin", précise-t-il.

Il existe plus de 600 caves de maturation de vin en Tunisie, selon le fils de Daoudi, Mounir, fier propriétaire de la plus vieille bouteille de vin tunisien, datée de 1923. "Ils m'ont offert 10 000 dinars pour la vendre, mais j'ai refusé". Mounir, par ailleurs haut fonctionnaire au ministère des Finances, exploite un petit musée présentant une collection de bouteilles vieilles de plusieurs décennies.

La vigne couvre aujourd'hui plus de 10 000 hectares, contre à peine 100 hectares en 1889. La production vinicole se classe au troisième rang de l'agriculture tunisienne, derrière l'huile d'olives et le blé. Elle génère également des recettes significatives pour les caisses de l'Etat, dans la mesure ou l'UCCV, qui contrôle deux tiers de la production, exporte un million de litres de vin chaque année vers l'Europe, la Russie et les Etats-Unis.

Maher Toumi, spécialiste à l'UCCV, affirme qu'il reste encore aux Tunisiens beaucoup à apprendre pour pouvoir affronter efficacement la concurrence des autres pays producteurs. "La production dans la seule ville francaise de Bordeaux est trois fois supérieure à celle de la Tunisie, et le nombre d'oenologues formés dans les instituts francais ou espagnols ne dépasse pas dix personnes… nous [avons besoin] d'écoles specialisées dans ce domaine, indique-t-il.

Pour ce qui est de la consommation locale, Toumi nous révèle que la moyenne anuelle des Tunisiens est de l'ordre de 8 à 9 litres, contre 60 litres en France. Néanmoins, les taxes sur la consommation de vin en Tunisie, de 18 pour cent, constituent une ressource importante pour les finances de la nation, à l'instar des taxes sur le tabac.

Les autorités tunisiennes ont encouragé les investisseurs étrangers a s'intéresser à ce secteur, par un ensemble de mesures incitatives. Nous en avons un aperçu en visitant l'exploitation privée de Alain Stegmann, un Suisse venu en Tunisie pour mettre sur pied un projet de production et d'exportation de vin.

 

Alain Stegmann

 

"Au départ, je suis venu ici pour donner quelques conseils et aider mes amis tunisiens à mettre en oeuvre leurs propres projets", raconte Stegmann. "Le sol est bon et l'eau abondante… l'endroit encourage au travail, en particulier parce que nous sommes entouré par un paysage enchanteur. Au bout du compte, les amis n'ont pas persévéré dans leur projet. J'ai donc repris la balle au bond et ai commencé à mettre en oeuvre tout ce que j'avais envisagé, après avoir obtenu un prêt de l'Italie. Je me suis lancé dans l'aventure, et j'ai commencé à connaître de nombreux succès, dont le plus récent est l'obtention d'un prix national l'année dernière."

L'exploitation de Stegmann emploie 20 Tunisiens et propose six différents vins, dont le plus connu est "Jour et Nuit", du nom d'un restaurant en Suisse. Son vin est exporté en Belgique, en Russie et au Sénégal, et il envisage de se lancer sur le marché canadien.

Notre groupe termine sa visite dans un restaurant de Sidi Rais, à côté d'un ancien port romain utilise pour transporter les marchandises de Carthage à Rome, dont le vin, les raisins et le poisson. Occasion rêvée pour les organisateurs de tester nos connaissances apres cette excursion. Selon Mouldi, ce voyage a été utile, car la plupart d'entre nous avons opté pour un vin blanc, parfait pour accompagner le poisson.

 

 

Source : http://www.magharebia.com/cocoon/awi/xhtml1/fr/features/awi/reportage/2007/03/02/reportage-01